Sublime Camille Claudel au THEATRE GARONNE
« Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or » écrivait Baudelaire dans l'épilogue de ses « Fleurs du Mal ». Rien ne s'applique mieux à Camille Claudel, qui de la pierre a créé l'or, donnant vie, à des sculptures vives et ciselées qui, de fait, lui ressemblaient. Maudite Camille Claudel : délaissée, enfermée, martyrisée. Morte après trente ans d'internement, sans que jamais sa mère, sa soeur ne viennent la voir un jour dans cet asile glacial où elle s'est consumée sans feu, martelant que son ultime liberté était « de ne plus sculpter ! ». De cette vie, hantée par les vertiges de la création, mais aussi par ses souffrances, le metteur en scène Jean-Pierre Armand a créé un sublime spectacle, aussi troublant que poétique, aussi inventif que sensible...
Réalisé à partir de textes de Jean-Pierre Armand, de Paul Claudel et de la correspondance de Camille, porté par ce décor de briques des bas-fonds du théâtre Garonne qui fait corps avec la sculptrice, le spectacle repose sur une scénographie ingénieuse - une simple planche articulée de bois, qui se meut en écran de projection, en cellule d'asile, en lit mortuaire, en atelier... - et raconte la vie de l'artiste en s'articulant autour de ses œuvres (la valse, Sakountala, l'âge mur, l'implorante...) montrées comme autant d'étapes de son chemin de croix. Sublime scène ou l'actrice nue incarne le modèle de « La femme accroupie » et se lance les injonctions de l'artiste: "Tourne toi, tends-toi, ne montre pas ton sexe, qu'on le devine seulement !... ». À la hauteur de Camille Claudel : fascinant.
Nicole CLODI
Dépêche du midi
L'Indomptable
Artiste maudite. Cette image romantique de l'artiste que la France affectionne encore sied à merveille à Camille Claudel. Insoumise, géniale, audacieuse, rebelle, sauvage, violente, fantasque, fragile, folle... Autant de qualificatifs pour sa vie et son œuvre qui inspirent toujours ses pairs, mais aussi la littérature, le cinéma et le théâtre. "L'histoire de sa vie", écrivait son frère Paul Claudel, "est celle de son œuvre." Une histoire, surtout, qui mêle inextricablement, comme dans une étreinte passionnée, folie et art. Une histoire qui ne pouvait que fasciner le metteur en scène Jean-Pierre Armand.
La représentation de la folie et de ses délires est une thématique sur laquelle travaille depuis longtemps ce metteur en scène. Elle est incontestablement un des fils conducteurs de toutes ses créations. Au cœur de la plupart de ses spectacles, notamment ceux autour de l'œuvre picturale d'un Francisco Goya ou d'un Jérôme Bosch, on la retrouve aussi dans sa dernière création, Camille Claudel, l'interdite. Pour la raconter, il a mêlé savamment des textes de son cru, des extraits de la correspondance de Camille, de son frère Paul et des articles de critiques d'art.
Seule sur son lit d'hôpital, à la maison d'aliénés où elle est enfermée depuis trente ans, Camille Claudel se souvient ainsi de ce que fut sa vie. Sa vie ? Une somme d'espérances trahies, de destinées manquées, de bonheurs éphémères, d'injustices, d'abandons successifs, de luttes incessantes avec la pierre pour en sortir le secret de la vie. Camille ne décolère pas. L'artiste, enfermée contre son gré, vit toujours en elle, même si elle n'enfante plus de ses mains. Alors, comme lors du dernier sursaut avant que la vie ne s'échappe du corps, elle se lance dans un monologue intérieur pour retracer ce qui ressemble à un véritable chemin de croix.
Celle qui sculpte la matière juste avant la chute...
Les différentes stations de ce chemin sont l'atelier de la sculpteuse, Auguste Rodin, son frère Paul Claudel, ses sculptures et la maison d'aliénés. Pour matérialiser ces lieux et ces personnages, le metteur en scène s'appuie sur des voix off, un dispositif scénique particulièrement original, des images-vidéo de Bruno Wagner et des sculptures d'Annie Giral. Ce mélange des genres fonctionne à merveille et plonge systématiquement le spectateur au-dedans même de la vie de Camille...
Par son jeu tout en nuances, la comédienne parvient à révéler les différentes facettes de l'artiste comme de ses oeuvres.
Il est vrai que c'est tout l'art de la sculpture que de dévoiler sous tous les angles les formes de l'objet représenté. Ainsi en est-il également du spectacle de Jean-Pierre Armand : un "objet", serait-on tenté de dire, sculpté autour de la matière de la vie de Camille. Ce qui lui permet de révéler ce personnage tout en déséquilibre et fragilité, comme ses sculptures. Et d'inscrire dans le marbre, au passage, la quête incessante de l'artiste : chercher le secret de la vie dans le cœur si tendre des pierres.
Florence Guilhem -
Le clou dans la planche Magazine Toulouse
Le spectacle réalisé par Jean-Pierre Armand est magnifique et très intelligent. Il utilise la musique, la vidéo ainsi qu'un décor adaptable et très bien pensé, pour nous dévoiler la vie de passion et de souffrance d'une artiste qui encore aujourd'hui, n'est pas reconnue à sa juste valeur. La comédienne qui interprète Camille Claudel, seule sur scène durant plus une heure quinze, est remarquable. Elle nous embarque dans le destin tragique d'une sculptrice de génie. On est saisi par sa performance.
Elle est rayonnante de bonheur et de malice durant la période heureuse de Camille, lorsqu'elle est amoureuse et aimée de Rodin... Peu à peu, les difficultés arrivent et Camille n'a plus d'argent, elle voit de moins en moins Rodin... Mais c'est une femme forte et elle ne se laisse pas faire. Avec humour et conviction, elle se défend et s'indigne des injustices. Mais arrive la chute ; inévitable ! Camille Claudel est enfermée par sa propre famille dans un institut psychiatrique (Montdevergues). Elle y passe les trente dernières années de sa vie et meurt dans la souffrance, l'abandon et la solitude...
Cette dernière partie fait frissonner et nous touche au plus profond. Petit à petit, Camille devient comme folle. Elle qui fut enfermée par pure injustice, juste parce qu'elle avait un fort caractère, une personnalité affirmée et un talent indéniable, est désormais prise au piège ! Malgré toutes ses suppliques faites à son entourage, son frère, sa mère restent sourds à ses cris de détresse. Camille qui fut touchée par la grâce et qui a reçu un don est désormais seule au monde.
Elle avait beaucoup de choses à dire. Elle utilisait son art pour transmettre la vie. Elle fut enfermée, incapable de continuer son œuvre, elle fut interdite ! Un grand merci à toute l'équipe du spectacle de Camille Claudel l'interdite, car ainsi, il contribue à la libération de Camille et, peut être, à réparer l'injustice dont elle fut la victime.
Par Cyriel TARDIVEL -
Théâtrothèque